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C'est en parcourant le numéro du CIRA spécial résistance anarchiste, un sujet passionnant qui mériterait d'être plus souvent traité, que je suis tombé sur ce poème de Charles Noël. S'il n'était pas un résistant au sens classique du terme, il était anarchiste et a aidé un camarade à fuir la mobilisation. Cela ne l'a pas empêcher d'être arrêté et emprisonné à la prison Bonne Nouvelle de Rouen, pour "détention d'arme" (une carabine 6mm hors d'usage) en 1941. Il écrivit alors ce poème, intitulé La Gazette du prisonnier sur les conditions de vie des prisonnier·es.

Les passages sur les négligences face à la maladie résonnent tragiquement de nos jours.

Si je ne suis pas un acteur, il me semble important de médiatiser les poèmes anarchistes pour saisir la sensibilité de la culture et des idées libertaires. Ça permet de plus, comme ici, de sauver de l'oubli un beau texte qui gagne à être connu.

 

Le texte :

GAZETTE DU PRISONNIER

Connaissez-vous ce doux lieu,

Lieu de délices où les dieux

Qui nous tiennent en tutelle,

Pour la moindre bagatelle

Ou le plus petit délit, ·

Et, «manu militari»,

Quelque soit le sexe ou l'âge,

Nous oblige à faire un stage.

 

C'est une vaste maison

D'apparence fort tranquille

Qui jouit dans notre ville,

Vu ses vastes dimensions,

D'une réputation

Qu'aucun Immeuble n'envie,

Car, vu le genre de vie

Que mènent les habitants

De ce domaine accueillant,

Nul n'envie, soyons en sors,

Au présent comme au futur,

Je le dis en vérité,

De venir noua remplacer.

 

Pourtant notre vie est belle :

Couché tôt et tard levé;

D'abord, allons nous laver

Puis ensuite un bon café !

A condition de payer

La somme de vingt centimes.

Somme toute, assez minime.

Mais quand vous le dégustez

Une suave odeur de tines

Vient chatouiller vos narines

On a choisi pour vous l'heure du déjeuner

Et maintenant passons à la gamelle !

 

Cuisine «Bonne Nouvelle»

Bouillon à l'eau colorée

Trois patates non pelées

Ou pots cassés en purée

Suffisent pour la journée.

Les vendredis et dimanches

Vache enragée en mince tranche.

Je vous le dis, la vie est belle

 

Ici sont représentés

Tous les corps de métiers

Vanniers, dockers, menuisiers,

Cuisiniers, pâtissiers,

Cheminots, peintres, fermiers,

Industriels et commerçants

Fonctionnaires, arracheurs de dents,

Des écoliers et des mineurs,

Des boulangers, des confiseurs.

Nous eûmes mime un notaire

Une autre fols, ce fut un maire

Et, pour que l'ordre fut constant,

On emprisonne des agents !

 

Lors, si nous parlions Hygiène,

La chose en vaut bien la peine.

Noua avons de ce côté des griefs à formuler.

Prenons si vous le voulez

Le manger et le coucher.

 

D'abord, quand vous arrivez,

Arrive l'heure du dîner

Lors, pour la première fois,

Vous mangez avec vos doigts

Car. aujourd'hui comme hier,

Ici manque les cuillers

Et les fourchettes pas moins

Donc on se sert de ses mains.

 

On ne distribue pour boire

Aucun quart, c'est notoire,

Aussi le même - c'est louche •

Peut passer de bouche en bouche,

Car notre chère «Maison»

N'a souci des contagions.

 

Pour le lit, c'est même affaire

Car la maison n'a que faire.

Pour nous qui sommes «la lie».

D'assainir la literie.

Aussi foisonnent Jes poux

Qui viennent l'on sait trop d'où

Et vivent tout à leur aise

Les puces et les punaises.

 

Ici, pauvre prisonnier,

Ton sort est d'être mangé.

Maintenant, examinons

Le côté récréation.

 

Il est vrai que nous avons

D'amusantes distractions.

Visites, jeux de toutes sortes,

La coinchée et la belote,

Jeu de dames et dominos

Puis le plaisir du «perlot.»

 

Colis de toutes natures

Fruits, viande, confiture,

Concours de jeux, chants, lectures,

Souhaitons, Amis, que ça dure.

Mais qu'ai-je dit là, bon dieu,

C'était trop beau pour ce doux lieu.

 

Vlan, il nous tombe une tuile

Qui n'est pas dans un bain d'huile.

Adieu colis, tabac, lecture,

On vient de nous mettre à la dure.

Ordre de la Kommandantur. Eh !

Du coup cela pourrait durer.

 

N'allez pas, je vous en prie,

Croire qu'en cas de maladie

Vous seraient donnés tes soins

Dont vous auriez tant besoin

Car, pour vous, pauvres malades,

N'existent que des pommades

Anodines, je te dis,

Et te classique onguent gris

Sans compter l'iode en teinture.

Vous faites triste figure

Si vous avez mal au pied,

A la gorge ou bien au nez.

 

Si l'estomac vous torture

Par manque de nourriture,

Si vous avez mal au foie,

Purgon dit : là que je voie

Et si pour ces cas, il urge,

Vlan ! il vous flanque une purge.

 

Amis, vous avez compris,

Quand vous sortirez d'ici,

Attention, faites en sorte,

Lorsque vous v:nez la porte

Qui donne rue de la Motte,

Au souvenir de l'accueil

 

Qu'on fait en cette maison,

Évitez, non sans raison

De n'en plus franchir le seuil

 

Charles Noël, Octobre 1941

 

Je rajouterai un dernier point : c'est que ce poème fait une liaison parfaite entre la lutte anti-carcérale et l'anarchisme. Le sujet de l'abolition des prison est pris très à cœur par les anti-autoritaires, ceci fera sans doute l'objet d'une vidéo spéciale un jour.

En dernier lien (ci-dessous), voici les numéros (gratuits) de la revue dans laquelle j'ai trouvé le poème. Ils sont très intéressants sur l'activité des anarchistes (français·es, espagnol·es et même italien·nes) en France durant l'occupation, sujet trop peu connu à mon avis.

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